Robert Koessler, prédicateur antisémite, a joué un rôle proéminent dans le projet d'attentat, selon plusieurs suspects
Un "gourou" d'ultra droite exilé à Miami derrière un projet d’attentat contre une loge maçonnique
Info Marianne
Par Paul Conge
Publié le 22/12/2021 à 12:03
Un second prédicateur d’extrême droite apparaît dans l’ombre de Rémy Daillet. Figure des milieux antisystème, Daillet est soupçonné d'avoir orchestré le rapt d’une fillette dans les Vosges, un putsch contre l’Élysée, sans oublier un attentat à l’explosif contre une loge maçonnique de l’est de la France… Le tout rassemblé dans une tentaculaire enquête visant
« des projets de coups d'État et d'autres actions violentes ». Un costume peut-être trop grand pour lui tout seul. Selon des informations de Marianne, plusieurs suspects néonazis ont récemment dénoncé un autre homme, Robert Koessler, comme commanditaire de l’attentat contre le temple franc-maçon. Jusque-là le nom de ce Français de 67 ans, expatrié aux États-Unis, n’était apparu qu’en marge.
Résidant à Miami, hors d’atteinte de la police française, Koessler apparaît très tôt dans cette enquête à tiroirs. Quand les policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), les renseignements, s’intéressent à Daillet en 2020, l’homme est déjà en contact avec lui, ainsi qu’avec plusieurs membres d’un groupuscule néonazi baptisé « Honneur Nation », actif en Alsace et en Corrèze. Projet de ces adorateurs du Reich ? Détruire à l’explosif une ou plusieurs loges maçonniques. Nom de code ? « Projet Alsace ». Pour commettre cette action, ces néonazis semblent alors obéir à Robert Koessler, un prédicateur antisémite que Marianne a identifié et qui appelle à longueur de vidéos haineuses à « foutre par terre la République judéo-maçonnique ».
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« Koessler était contre les loges maçonniques », révèle un des principaux suspects, Denis L., dans une audition face à un juge antiterroriste, fin novembre, selon des procès-verbaux que nous avons pu consulter. Selon cet Alsacien de 57 ans, c’est Koessler qui aurait commandité cet attentat, lui demandant notamment de trouver de quoi « faire péter la loge » : « Il m’a demandé si je pouvais trouver des explosifs, de la dynamite. » Ce possible artificier avait reconnu avoir effectué des repérages autour d’une loge située, selon ses versions, à Thionville (Moselle) ou bien à Lunéville, au sud de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Une autre suspecte, Valérie D., accuse aussi le même homme d’avoir poussé à commettre ce crime.
Propagande sur Internet
Cette emprise de Koessler sur la bande néonazie découlerait de sa propagande sur Internet. Titulaire d’un master en commerce de l’université Nancy-II, ce Lorrain s’expatrie à Miami avec sa femme au début des années 2000 pour y créer une société d’investissement spécialisée dans l’immobilier. Koessler se met à publier des vidéos complotistes et anxiogènes sur YouTube, où il dénonce les « synagogues de Satan ». Il se met en scène, crâne chauve, voix qui porte. Toute « l’œuvre » de ce prédicateur assez confidentiel – seules quelques centaines de personnes le suivent – tourne autour d’une dénonciation obsessionnelle des « Rothschild », ou encore des « Kazhars », ces Juifs qu’il accuse de pédophilie et de satanisme, un poncif antisémite. Juste avant la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine, en 2016, Koessler publie un ouvrage proprement délirant, Le combat de Dieu et Satan. Prophéties de la Troisième Guerre mondiale, où il soutient que « Barack Obama, comme les autres présidents, a été élu pour servir les banquiers Illuminati », cette secte occulte censée tirer les ficelles du monde.
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C'est dès 2019 que Koessler apparaît dans le viseur de mouvements antiracistes français. « Après une vidéo où il menaçait la communauté juive et le président Macron, nous avons transmis ces vidéos à l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste », rapporte un porte-parole de l’Association "Balance ton Antisémite". Puis au printemps 2020, les diatribes complotistes de Koessler s’accompagnent de velléités de passage à l’acte, avec les débuts de la pandémie de Covid-19. « Tout ça est planifié par Macron », vocifère l’idéologue dans une vidéo. « Croyez-moi, la peine de mort on va la remettre en place. Toutes ces putasseries de politiques qui ont mis le pays par terre, ils vont le payer de leur vie. » Au passage, à l'écran, il brandit une arme de poing.
Parmi ses admirateurs à cette époque se trouve Denis L. Cet ancien membre du Front national (FN) en Alsace boit ses paroles à partir de 2018, converse avec lui par mail, puis par téléphone. Aux enquêteurs, Denis L. explique avoir « basculé » après la fermeture de sa société de négoce en machines-outils cette année-là. Au chômage, « tous les jours bourré », il fréquente des sites d’extrême droite et finit par s’enrôler dans « Honneur et Nation », dont son beau-fils néonazi est membre. « Avant, je n’étais pas comme ça. ». Entre février 2020 et février 2021, Denis L. et Robert Koessler ont 121 contacts téléphoniques. Un tous les trois jours.
Intermédiaire
Courant 2020, c’est Koessler qui lui fait découvrir Rémy Daillet et les met en relation via un groupe WhatsApp baptisé « Les Patriotes ». « Êtes-vous des royalistes ? Moi je suis national-socialiste, comment faire pour trouver un terrain d’entente ? » demande un jour Denis L. à Daillet qui lui répond : « Les hommes qui travaillent pour une même libération n’ont pas besoin de s’entendre sur le plan des opinions. »
Ce faisant, Koessler est la personne qui met en cheville le groupe néonazi et Rémy Daillet. Au départ, Denis L. l'écoute leur suggérer de saboter des antennes 5G ou encore de « bastonner » une cadre de la France insoumise (LFI). « Il ne pouvait par les voir, les communistes », glisse-t-il aux policiers. Mais c’est Koessler qui lui fixe une plus funeste mission : faire exploser une loge maçonnique. « Il a cherché des loges qui étaient susceptibles d’être ces cibles potentielles. Il y avait une loge qui se trouvait sur Lunéville », explique Denis L. au cours d’une précédente audition révélée par Le Parisien.
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À sa demande, il fait des recherches sur des explosifs, sur le web et le Dark Net. Après quoi il confirme à son donneur d’ordres qu’il peut trouver du C4 à 600 euros le kg et tente de fabriquer de la thermite chez lui. Depuis Miami, Koessler lui envoie par colis une enveloppe contenant des percuteurs qui pourrait servir à remilitariser une MG42, une vieille mitrailleuse allemande. « Mon intention était de les mettre dans un bloc de résine transparent pour la déco », jure Denis L. au magistrat.
Fin de partie
Pourtant à l'époque, il est très remonté. Sur des écoutes téléphoniques, fin 2020, ses mots glacent le sang : « La République est juive (…) J’aimerais bien me battre contre ces juifs (…) J’aimerais bien les détruire, les gazer, parce qu’ils méritent pas plus. » Denis L. est l’un des premiers de la bande à être arrêté et mis en examen en mai 2021, en compagnie de son beau-fils. Son avocat, Me Damien Viguier, n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Marianne a tenté de joindre Robert Koessler, sans succès. L’homme publie toujours ses vidéos sous pseudonyme. La dernière date du 12 décembre. Deux mois après l'arrestation de son ami Denis, il rendait hommage à ce « soldat qui s’est battu pour la France ». Puis, entre un éloge d’Adolf Hitler et un appel à placer les juifs dans des camps de concentration, il persistait dans son discours belliqueux : « On va s’occuper d’eux. Qu’on prenne nos flingues, qu’on s’arme. (...) Levez-vous les Français levez-vous ! » Protégé par son expatriation, Robert Koessler n’a pas pu être interpellé, ni entendu.